Un texte d’une qualité supérieure écrit par Louis-Ferdinand Céline.
Un chef d’œuvre de l’entre-deux guerres qui est fait pour être écouté. C’est bien ainsi que ce spectacle a été conçu et réalisé par Philippe Sireuil, le nouveau directeur du Théâtre des Martyrs.
Un récit à la première personne – celui de Bardamu , héros narrateur, soldat réchappé de l’enfer de la Grande Guerre 14-18.
Un « roman-voix » qui tranche et qui s’impose.
Un style unique, émouvant, interprété par la grande comédienne Hélène Firla.
VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT
« Le livre de Louis Ferdinand Céline est un long ci qui n’a pas fini d’ébranler les hommes » a écrit Charles Plisnier en 1932, à la sortie du livre.
Plus de 80 ans plus tard , la prévision s’avère on ne peut plus clairvoyante.
Philippe Sireuil (metteur en scène ) : « Ça a débuté comme ça »: passée la première phrase du roman de Louis Ferdinand Céline, nous voilà comme absorbés par les mots ; son écriture nous bouffe, nous ravine et nous déporte dans le douloureux périple de Ferdinand Bardamu, de la première guerre mondiale au retour vers la maigre banlieue de Rancy, en passant par l’Afrique coloniale et ses sbires, l’Amérique et son travail à la chaîne - comme autant de points cardinaux de l’abrutissement et de la destruction de l’homme par l’homme.
Voyage au bout de la nuit est un roman fleuve, un plaidoyer atrabilaire de la condition des hommes d’une force émotionnelle et littéraire comme on en rencontre peu.
Nous n’avons fait pour notre part qu’en aborder les premiers bouillonnements, ceux qui racontent le désastre et la boucherie de la guerre, l’humanité réduite à l'état de cette pourriture qui ne cesse aujourd’hui encore de contaminer le destin du genre humain, là où l’on découvre qu’ « on est puceau de l’horreur comme de la volupté », et qu’à vingt ans on n’a déjà plus que du passé.
La langue de Louis Ferdinand Céline crache, éructe, braille, sanglote et vomit, elle dit la tourmente et la convulsion du monde, mais aussi la douloureuse fragilité de l’homme.
Nous aurons cherché avec Hélène Firla qui endosse la figure d’un Bardamu dessiné par Tardi, à la faire entendre dans tous ses registres, avec pour seul outil le frêle esquif d’un théâtre réduit à la parole.
VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT
La pièce est donc « racontée » par une comédienne des plus brillantes : Hélène Firla, cigarette roulée , vissée entre les lèvres , large costume d’homme et chapeau melon.
C’est vraiment Bardamu incarnée par une femme.
C’est Philippe Sireuil qui a eu cette magnifique idée.
De la sorte , cette admirable adaptation scénique restitue au texte son étrangeté , sa grandeur , sa violence.
C’est une superbe performance de l’actrice , qui a dû mémoriser ce très long texte.
On ne peut que l’en féliciter.
Quel plaisir pour une comédienne de jouer une pièce semblable, quasiment unique!
INTERVIEW-EXTRAIT : PHILIPPE SIREUIL
Comment s’est déroulé le travail avec Hélène Firla ?
Philippe Sireuil : Hélène n’envisageait absolument pas d’endosser la figure de Bardamu. Elle s’était interrogée sur ce qui pouvait la relier à ce personnage, et voici ce qu’elle m’avait écrit: «Pourquoi une femme ne pourrait-elle pas prendre la peine de témoigner de l'extrême violence faite à tous ces (ses) hommes envoyés comme matériaux vivants pour se faire déchiqueter dans un cynisme de gloire et d'héroïsme dont leurs chef se sont souvent bien gardés d'imaginer même l'horreur ? ». Elle ajoutait : « Qui pourrais-je être ? J'avais l'idée de me trouver devant un mur de patates, comme une cantinière, fermière, mère de famille, que sais-je, et que le récit naissait d'une action concrète, celle de l'épluchage... »
Très vite, dès le deuxième jour des répétitions si ma mémoire est bonne, le plateau, confirmant mes inquiétudes, nous a dicté qu’il fallait que l’actrice « incarne » Bardamu, qu’il ne fallait pas « ruser » avec un texte écrit à la première personne, et que le filtre envisagé par Hélène nous bouchait toute possibilité d’immersion et, par ricochet, d’impact. Le dessin du Bardamu de Jacques Tardi s’est immédiatement imposé à notre regard, et s’en est suivi l’apprivoisement par l’actrice de cette figure, corps chétif et voix rauque, les fesses sur un banc dont il/elle ne bougerait pas, figé dans le travail de remémoration que la scène proposait à l’écriture. Hélène Firla s’est glissée progressivement, avec force et ténacité, dans le cadre défini. Au final la féminité de l’actrice que la représentation ne nie évidemment pas, donne à la figure de Bardamu une fragilité, une douleur, dont un acteur masculin ne pourrait peut-être pas rendre compte. Elle nous «distancie » diraient les brechtiens , de l’objet incarné pour nous permettre de mieux le regarder et l’écouter
On est toujours frappés par le style. Dès qu’on ouvre le roman, dès la première phrase. « Ça a débuté comme ça » : l’allure d’une parole orale, mais une allure seulement. Si on était véritablement dans une parole orale, on aurait eu : « ça a commencé comme ça. »
Cette première phrase, c’est la clé, ou plutôt la mèche que Céline allume dès le départ : l’affirmation d’une écriture qui va péter à la gueule du lecteur. Avec Voyage au bout de la nuit, on peut dire qu’il y a un avant et un après dans le panorama de la littérature française, et son irruption en 1932 résonne comme un coup de tonnerre magistral. On l’a maintes fois dit et répété, Céline invente une langue compacte, puissante, drue, luxuriante, qui chahute son lecteur au plus profond, et cette langue est tout le contraire de l’oralité, elle est très construite, raffinée, elle se joue de la syntaxe et du vocabulaire, elle empoigne le français pour lui faire rendre tout son suc. Il n’y a pas de gras dans la viande des mots chez Céline, que du nerf et de la chair, mais il nous donne toute la bête, qui n’est pas faite pour des estomacs délicats. Ce matériau pour l’acteur, une fois mastiqué et digéré, c’est un cadeau.
(Propos recueillis par Hinde Kaddour)
COURT RESUME DU TEXTE
Lorsque Ferdinand Bardamu s’engage dans l’armée, il côtoie la Grande Guerre et ses horreurs. Il y perd ses illusions , en même temps que son innocence et son héroïsme...
En Afrique , où le colonialisme lui montre une autre forme d’atrocité , Bardamu s’insurge de cette exploitation de l’homme par l’ l’homme , plus terrible encore que la guerre...
En Amérique , où le capitalisme conduit à la misère des moins chanceux , Bardamu refuse toute morale et survit comme il peut ,entre son travail à la chaine et son amour pour Molly , généreuse prostituée.
En France où il exerce comme médecin de banlieue, Bardamu tente d’apaiser les malheurs humains. Au fil de son voyage , étape par étape , il côtoie sans cesse la misère humaine e s’indigne , cynique et sombre comme la nuit...
Cet œuvre de Louis-Ferdinand Céline, publiée en 1932, se vend encore en France, à plus de 40 000 exemplaires par an !
VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT
Texte : Louis Ferdinand Céline
Adaptation , lumière , mise en scène : Philippe Sireuil.
Interprétation : Hélène Firla
Scénographie et costume : Roland Deville
Réalisation costume : Coralie Chauvin
Construction décor : Atelier de la Comédie de Genève
Régie : Antoine Halsberghe
Direction technique : Lorenzo Chiandotto
Chargée de production : Charlotte Dumont
Production : Compagnie FOR
Coproduction : La Servante , Comédie de Geznève , Théâtre des Martyrs.
Photos : Marc Vanappelghem
VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT
Jusqu’au 27/02/16
THEATRE DE LA PLACE DES MARTYRS
Place des Martyrs22 – 1000 Bruxelles
Infos Réservations : 02 / 223 32 08
Amis de l'émission/blog" Les Feux d la Rampe", merci pour l'intérêt que vous portez à ce blog.
Notre moment de séparation : Un flm , véritable document signé Murnau, tourné en 1926 : FAUST, avec l'un de grands acteurs allemands de l'époque : Emil Jannings.
Le mythe goethien du conflit de l'homme et du Mal, adapté donc par Murnau , mêlant à des influences picturales les grands thèmes du romantisme et de l'expressionnisme allemand.
A voir ce vendredi 19/02 à 19h à la Cinémathèque.
Bonne vision et à tout bientôt.
Roger Simons